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Extraits du journal de bord de Richard Worthy

Partie I

De Portsmouth à Hong Kong, 1859

10 janvier 1859

Me voici embarqué sur le HMS Chesapeake, une frégate de la Royal Navy. Nous sommes plus de cinq cents hommes d’équipage. Je ne sais quel dessein m’a poussé ici. Ou plutôt si : pour oublier mon passé. J’écris ce journal car j’ai l’intime conviction que ma vie s’arrête aujourd’hui à Portsmouth, ville sans avenir, et qu’elle commence définitivement sur ce navire. Je laisse à jamais derrière moi mon nom de famille damné. Je ne conserverai que mon prénom, Richard. Que vous le vouliez ou non. Malheur à mes parents qui m’ont lâchement abandonné il y a plus de dix ans. Malheur à ceux qui ont profité de moi ! Aubergistes, bouchers, menuisiers, tisserands, et bien d’autres. Qu’ils soient maudits ! Ah, ça oui ! Des métiers, j’en ai pratiqué des tas, mais je n’ai connu que des mauvaises gens. Alors, lorsque j’ai su que le Chesapeake recherchait des matelots pour sa frégate, je n’ai pas hésité une seconde. Le salaire en valait la peine – et à dix-neuf ans, on n’a rien à perdre. J’ai tout inventé de mes aptitudes de marin, sauf celle du travail du bois qui a retenu toute l’attention du lieutenant recruteur. J’ai donc été convoqué à l’appareillage du Chesapeake en ce matin de janvier 1859.

Cette frégate est lourdement équipée : cinquante et un canons qui devront soutenir notre flotte en Chine. Les rumeurs disent que nous arriverons juste à temps pour dégommer les Chinois. Cette deuxième guerre de l’opium sent décidément bon la victoire de notre Empire britannique qu’il faudra la partager avec les français qui nous aide sur ce coup Et qui sait si l’opium ne présenterait pas une belle opportunité ?


Extraits du journal de bord d'Andrew Worthy

Partie I

Hong Kong, 1914

28 mars 1914

Mon père me l’avait demandé alors, moi, Andrew Worthy, fils de Richard, je vais perpétuer l’histoire de notre famille. J’ai pris quelques jours pour me décider mais, en enterrant mon père il y a quelques semaines et en lisant ses mémoires, j’ai pris conscience de la tâche qu’il m’a léguée. Alors, cela aidera à éclairer les générations futures.

J’avais repris les affaires de Worthy & Sons en 1910, aujourd’hui me voilà seul capitaine de cette entreprise. À trente-quatre ans, les employés m’appellent taipan, un peu à contrecœur. Je sais bien que mon jeune âge les dérange, alors je vais devoir faire mes preuves. À dire vrai, je redoutais ce moment depuis mon adolescence, cependant mon éducation militaire à la Royal Navy pendant huit ans m’a endurci et elle me sera d’un grand atout. Ils vont devoir comprendre que je ne suis pas mon père,

Worthy & Sons est respecté dans toute l’Asie et j’entends bien perpétuer le travail de mon père. Hong Kong change à une vitesse folle et les opportunités sont innombrables. Voilà une dizaine d’années que Hong Kong se développe très vite : des magnifiques bâtiments comme le Prince’s Building et le Royal Building sur Ice House Street sont sortis de terre comme des champignons. Depuis deux ans nous avons aussi notre université de Hong Kong. Mon endroit préféré reste l’Alexandra Buidling et ses arcades marchandes, où je vais tous les vendredis acheter mes cigares. Non, décidément, Hong Kong est devenu une ville qui n’a rien à envier à Shanghai ! Nous avons même notre « Bund », que nous avons appelé le Central Praya, un clin d’œil à Macao.

Aujourd’hui, Hong Kong est le port le plus important de l’Asie et de l’Empire britannique. J’ai décidé de diversifier nos activités avec le transport maritime, en plus des assurances et de l’immobilier.

Il y a quelques semaines, j’ai fait l’acquisition d’une magnifique maison sur Strawberry Hill qui avait été construite par la famille Matheson, qui me l’a vendue à un bon prix. Je vais être occupé à quelques rénovations importantes. Elle doit être à la hauteur de notre famille.

Politiquement, la Chine est entrée dans une drôle de situation. Yuan Shikai, qui avait été nommé président de la République de Chine, vient de dissoudre le parlement. Tout le monde est convaincu que cet ancien général de la Nouvelle Armée  va devenir un dictateur sanguinaire.




Extraits du journal de bord de James Worthy

Partie I

Hong Kong, 1960

20 décembre 1960

Mon père s’en est allé. Il ne s’est jamais remis de la mort de ma mère. Il s’était remis à boire, excessivement. À en mourir.

Moi, James Worthy, je vais donc continuer l’histoire de notre famille. Je n’ai pas leur talent d’écriture. Je serai factuel, c’est mieux ainsi.

Pour le moment, le deuil m’envahit. En deux ans, j’ai perdu les deux êtres les plus chers. Et me voilà taipan, comme mon grand-père et mon père avant moi, à trente-deux ans ! Une lourde responsabilité dans une Chine qui semble se durcir politiquement et Hong Kong qui grandit inexorablement.

Hong Kong, 1966

4 janvier 1966

La Chine s’est totalement refermée. Nous ne savons plus ce qu’il se passe. L’opium ne circule plus et le gouvernement chinois l’a totalement interdit. Je dois me résoudre à fermer définitivement ce business.

Je n’y vois pas tant d’inconvénients. J’ai toujours trouvé ceci peu moral, après tout. Je l’ai maintenu par respect envers mes grands-parents et mon père. Tout a commencé avec l’opium, tout doit continuer sans lui.






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